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leftPédagogie - Les 3 acteurs de la créativité
P. Le Corre

LES TROIS ACTEURS DE LA CRÉATIVITÉ

Être musicien, c'est être créateur à plein temps. Que l'on soit compositeur ou interprète, notre métier consiste à solliciter en permanence nos ressources créatives pour exprimer nos idées musicales.

Mais comment nous y prenons-nous pour créer ? Comment nous vient l'inspiration ? Comment faisons-nous pour qu'une idée musicale devienne une œuvre construite et achevée ?

Face à ces questions, nous sommes souvent incapables de répondre ou encore d'expliquer à ceux qui ne savent pas faire comment faire pour créer ! Tout au plus, nous leur dirons que c'est comme ça, que c'est un don qui nous fût transmis à la naissance. Et c'est ainsi que les artistes passent le plus clair de leur temps dans l'attente anxieuse de la visite des muses ; car sans l'inspiration, point de création !

Heureusement Dieu, dans sa grande bonté, eût l'idée (pour ceux que les muses ne visitent pas souvent !) de créer les sciences cognitives et de faire en sorte que quelques chercheurs en psychologie tentent d'expliquer certains de nos processus créatifs. Robert Dilts est l'un de ceux-là ; dans le domaine des arts, il a étudié les stratégies de créativité de Mozart et de Walt Disney (1) nous apportant quelques clefs importantes pour la compréhension des phénomènes créatifs :

La créativité : un état

Dans le langage courant on dit d'untel qu'il est un être inspiré, un génie, un artiste, un créateur. On fait ainsi d'un état une caractéristique permanente de l'Être. En réalité, je suis désolé de vous apprendre (pour ceux qui ne s'en doutaient pas !) que personne n'est génial, inspiré ou créateur. Tout plus, certaines personnes vivent des instants où elles éprouvent un état créatif, génial ou inspiré.

A la base de toute création, il y a donc un état. Un état n'a pas de "contenu" défini et dans ce sens nous sommes tous nés avec la capacité d'éprouver un état créatif. Lorsque nous imaginons une idée de cadeau pour des amis, que nous décidons le menu d'un repas, que nous inventons une approche pédagogique particulière pour un élève, nous employons nos ressources créatives au même titre que si nous écrivions une symphonie ou dessinions une fresque pour la chapelle Sixtine ! Bien entendu, c'est le contenu de ce que nous créons qui est valorisé par notre société comme talent créateur et non le processus. Beethoven devait comme tout le monde inventer le menu de ses repas ; cela n'empêche que seule son œuvre musicale est passée à la postérité !

Si créer est un état, la réalisation d'une création est un processus qui met en relation trois aspects de notre personnalité : le rêveur, le réaliste et le critique :

Le rêveur

Toute création trouve son point départ dans le rêveur, dans cette partie de nous-mêmes qui est spontanée et qui aime à faire des associations des plus fantaisistes sur un principe cher à tous les êtres humains : le principe du plaisir !

Le rêveur utilise les ressources du cerveau droit : quand on est "dans le rêveur", on est immergé dans l'action que l'on réalise en vivant les choses au moment présent. On laisse libre cours à son intuition, son "feeling" sans se préoccuper des lois de la logique ou du rationnel. C'est utiliser (selon une terminologie propre à l'Analyse Transactionnelle) le potentiel de l'enfant qui est en nous.

Le réaliste

Le réaliste est un personnage concret et pragmatique : c'est lui qui fait prendre forme aux rêves. Pour ce faire, il utilise plutôt les ressources du cerveau gauche : il analyse, détaille, met forme, organise logiquement les idées du rêveur. Si le rêveur est intuitif, le réaliste est plutôt intellectuel et mental. C'est la partie (toujours selon l'A.T.) de l'adulte en nous.


Le critique

Si le rêveur et l'adulte sont dans l'action (le premier trouve les idées et le second les réalise), le Critique lui est hors de l'action. Cette position lui permet d'observer les choses objectivement et de vérifier si la création "tient la route". Il remarque ce qui manque, si qui va bien, ce qu'il y a en trop et en fait part aux rêveur et à l'adulte afin qu'ils apportent les modifications nécessaires pour que le projet soit le plus "parfait" possible. Il correspond à l'aspect parent qui est en tout être humain.

Une entente harmonieuse pour créer en toute liberté

Une création est réussie lorsqu'il y a un travail harmonieux entre le rêveur, l'adulte et le critique.

Chacun de ces personnages est indispensable pour mener à bien toute création. Beaucoup de personnes ont des idées musicales géniales (dans le rêveur) sans pour autant devenir compositeur : si elles ne savent pas comment les organiser entre elles ou les développer cela ne deviendra jamais morceau de musique. Si un instrumentiste a de merveilleuses idées d'interprétation mais aucune technique pour jouer d'un instrument (le coté réaliste) ses idées resteront un doux rêve. Si enfin un compositeur écrit une œuvre (rêveur et réaliste) mais que cette œuvre est en désaccord avec les lois de l'écriture, de la forme ou que tout le monde trouve cela mauvais (les critiques) cette œuvre n'existera pas et disparaîtra.

Quand ces trois parties travaillent ensemble, il faut aussi qu'elles se respectent mutuellement. Beaucoup de personnes étouffent leur rêveur par un critique castrateur qui intervient dès qu'elles ont la moindre idée musicale tuant ainsi leurs idées "dans l'œuf". D'autres encore privilégient la technique et la forme (le réaliste) au détriment de l'expression (le rêveur). Si un interprète se laisse enfin emporté par son inspiration au détriment de la réalisation digitale et musicale de l'œuvre (réaliste et critique "tyrannisés" par le rêveur) cela ne sera pas satisfaisant.

Chacun a sa place !

Pour mener à terme un projet, il est donc fondamental de savoir confier chaque étape de l'élaboration d'une œuvre à une partie déterminée. Au début, laissez agir votre rêveur : écrivez tout ce qui vous passe par tête sans vous soucier de comment cela prendra forme et si cela est bon ou mauvais. Votre serviteur (ici présent !), pour écrire un article dans cette revue, commence par noter de manière "insouciante" toutes les idées qu'il a sur un sujet donné. Ensuite, faites intervenir le réaliste : reprenez chacune des idées et organisez-les, travaillez-les jusqu'à ce qu'elles aient la forme la plus adaptée à ce qu'elles doivent exprimer. Pour ma part, dès que j'ai fait le tour de toutes les idées, je les organise logiquement puis écrit l'article. Quand tout est écrit, faites-en une analyse critique : Qu'est-ce qui va et qu'est-ce qui ne va pas selon vous ? Qu'en penserait une personne extérieure ? Quelles critiques feraient vos amis ? Quand j'ai fini d'écrire l'article, je me relis, repère les redites, les fautes d'orthographes, les passages pas explicites, me met dans votre peau de lecteur ou le fait lire à des amis pour vérifier si le message reçu correspond bien au message envoyé ! Il est donc préférable que le critique n'intervienne qu'après que le rêveur et le réaliste aient fait leur travail. Son intervention peut alors relancer le processus. Il peut demander au rêveur de trouver d'autres idées ou au réaliste de mettre mieux en forme un passage. Cela fait, il jugera de nouveau le résultat et le processus pourra recommencer jusqu'à ce que les parties soient en équilibre c'est-à-dire jusqu'à ce que les idées du rêveur soient parfaitement mises en forme par le réaliste et que le critique n'ait rien à redire.

Alors (et alors seulement !) vous pourrez contempler votre œuvre, voir ce que cela est bien et faire comme fît un créateur fameux au septième jour : vous reposer !

Pascal LE CORRE



(1) Bibliographie : Robert Dilts : Mozart et Disney, stratégies du génie. Éditions : La méridienne


 

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Date de création : 10/09/2007 @ 02:30
Dernière modification : 08/10/2007 @ 16:33
Catégorie : Pédagogie
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